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Le miel, c’est du vol

Les produits de la ruche sont-ils véganes ?

Le ministère de l’Agriculture indiquait en 2009 que 69 600 apiculteurs exploitaient 1,4 million de ruches. Celles-ci ont produit 18 000 tonnes de miel en 2007, alors que les Français en consomment 40 000 tonnes par an. Selon le ministère, il s’agit d’un marché fortement déficitaire, avec des importations de l’Union européenne, mais aussi d’Argentine et de Chine [1]. Il convient de citer les autres produits de la ruche : le pollen, les reines, la gelée royale, la cire d’abeille, la propolis, l’hydromel, les larves [2], les essaims et le venin :

« L’homme profite du travail des abeilles. Il les exploite en prélevant une part de leurs provisions et en multipliant leurs colonies [3]. »

Parmi les défenseurs des animaux et notamment les végétariens et les apprentis véganes, nombreux sont ceux qui se demandent s’ils peuvent continuer à consommer ces produits qui ne semblent pas, a priori, engendrer de violence ni d’exploitation. La réponse de la Vegan Society est sans ambiguïté :

« Le miel et les autres produits de la ruche tels que la cire d’abeille, la propolis et la gelée royale sont des produits d’origine animale. Les véganes ne les consomment donc pas. Les abeilles sont élevées et manipulées, le miel qu’elles produisent pour elles-mêmes leur est dérobé, comme cela se passe pour les autres animaux dont l’élevage sert à produire des aliments. Les véganes ne consomment les produits d’aucun animal, abeilles comprises, parce qu’il n’est ni souhaitable ni nécessaire d’exploiter les animaux pour nourrir les humains [4]. »

Les abeilles sont en effet victimes d’une exploitation que seul un rapport de domination permet de maintenir. Chacun sait ce que l’on encourt si l’on cherche à s’approprier le miel d’un essaim sauvage à mains nues. Dire que les abeilles ne sont pas d’accord pour partager leur production est un euphémisme. Toutes sont prêtes à mourir pour la protéger.

En effet, le dard des abeilles est pourvu de barbelures ou petites pointes qui l’empêchent de ressortir, contrairement à celui des guêpes. Lorsque l’abeille a piqué, elle laisse donc son dard, les glandes à venin et une partie de son abdomen.

Cela entraîne irrémédiablement sa mort. Il paraît difficile d’attribuer à ce comportement, conscient ou non, toute autre signification qu’une défense manifeste. Il n’existe donc pas de contrat passé entre l’homme et l’abeille.

Des insectes sociaux

Une colonie comprend une reine, des ouvrières qui remplissent des tâches variées et des mâles appelés faux-bourdons. Cette terminologie royaliste est clairement anthropomorphique. Les abeilles sont des insectes sociaux qui dépendent les uns des autres. Ces animaux complexes et sensibles échangent des informations par les phéromones d’attraction sexuelle, d’inhibition des ovaires, d’alarme, de rappel, etc. provenant de la reine, des ouvrières ou du couvain, à des rythmes variables selon le message à transmettre et l’état de développement de la colonie. Ces phéromones transitent par la nourriture échangée, par le contact de la langue, des antennes, des tarses (extrémités des pattes), ou encore par l’air. D’autres informations sont transmises par la danse des butineuses qui ont découvert une source de nourriture ou par contact des antennes pour identifier par exemple les abeilles étrangères. Les abeilles s’informent les unes les autres pour produire ou disperser de la chaleur afin de conserver une température d’environ 35 °C sur le couvain. Les habitants d’une ruche connaissent tout ce qui se passe autour de la colonie comme à l’intérieur : caractéristiques de l’espace exploitable par les butineuses, disponibilité en pollen, qualité du nectar, conditions météorologiques, perte de la reine, pénétration d’intrus [5]… Ils semblent faire preuve de capacités telles que les décisions collectives, les stratégies de groupe et le règlement des conflits [6].

Eugénisme

L’apiculture préserve le consommateur de la douleur des piqûres d’un « cheptel populeux, agité, voire agressif [7] ». Ce sont les termes de Pierre Jean-Prost, ingénieur en agronomie spécialisé dans l’apiculture. En outre, l’apiculteur se protège tant bien que mal des piqûres lui aussi. Les manuels lui conseillent de porter un chapeau avec un voile noir en tulle ou en nylon, une veste et un pantalon en coton, à fermetures éclair, avec des extrémités rétrécies par un élastique, ou une combinaison de travail, des chaussettes et des chaussures montantes [8]. Toutefois, cela ne suffit pas. Les piqûres quotidiennes éprouvent le personnel des grands apiculteurs, dont le recrutement semble avoir toujours été difficile :

« Quelles que soient l’assurance et l’habileté du praticien, l’apiculture ne va pas sans piqûres. À la récolte, une trentaine de piqûres par jour et par personne représente une ration ordinaire, quoique très variable d’un jour à l’autre [9]. »

L’aiguillon venimeux est un tel problème pour les professionnels qu’il entraîne une dérive eugéniste dont les conséquences à long terme sont encore inconnues :

« Douceur et agressivité sont, au moins en partie, liées […] à l’hérédité : une colonie méchante aura une probabilité importante de produire une descendance agressive. Les abeilles agressives gênent le travail de l’apiculteur même le plus résistant aux piqûres ; aussi, professionnels comme amateurs mettent-ils la douceur parmi les premiers caractères à rechercher et sélectionner pour faciliter l’exploitation des abeilles. Pourtant, on remarque que des colonies méchantes se classent souvent parmi les plus productives [10]. »

La sélection massale – à partir d’individus qui présentent des caractéristiques permettant d’améliorer l’espèce d’un point de vue humain – des lignées dites douces consiste aussi à supprimer les lignées dites agressives du cheptel. Cependant, la douceur s’accompagne d’une moindre productivité, qui n’est favorable ni aux apiculteurs ni à la survie de l’espèce à long terme. Les rôles du méchant et du gentil que l’exploitant attribue selon le degré de soumission de l’abeille s’accompagnent d’autres formes de racisme et de jugements de valeur anthropomorphiques extrêmement douteux :

« [Les abeilles] sont attirées aussi par le nectar et par le miel des colonies voisines. On nomme pillage cette déviation exagérée de l’instinct de butinage. Les abeilles de race italienne y sont particulièrement portées de même que certaines colonies de race noire [11]. »

Le rapport que la domination humaine reproduit des schémas malheureusement bien connus. Que dire des éleveurs de reines qui, assistés par une sélection génétique très savante, vendent des races dites pures ? Quoi qu’il en soit, le prétendu pillage est parfois déclenché par l’apiculteur lors des visites de ruches. Il suffit de laisser tomber une goutte de miel par terre. En haute Provence, la récolte est parfois accompagnée d’une guerre intense et généralisée entre abeilles, pouvant aller jusqu’à la destruction de colonies entières. La terminologie de l’apiculture nomme ce phénomène pillage. L’intérêt que les abeilles portent à toute source de nectar et la bataille qui s’ensuit montrent l’importance cruciale du miel pour leur survie. En réalité, le pillard n’est autre que l’apiculteur. Par ailleurs, la recherche d’un accroissement de productivité des abeilles dites douces est opérée par croisements afin d’obtenir des lignées plus dociles appelées races domestiques. Les qualités recherchées sont les suivantes : vigueur, fécondité de la reine, douceur, résistance aux maladies et faible propension à l’essaimage (départ d’une reine et d’une partie des abeilles pour former une nouvelle colonie). Or « la cause profonde et inévitable de l’essaimage naturel réside dans l’absolue nécessité qu’éprouve la colonie d’abeilles, comme tous les être vivants, de se perpétuer et de se propager [12] ». On constate désormais chez les abeilles le même phénomène qu’avec les fruits et légumes : un appauvrissement de la diversité et quelques lignées productives très répandues.

Une des méthodes fréquemment utilisées pour trouver des lignées dociles consiste à inséminer artificiellement des reines avec le sperme d’un mâle. Le sperme est collecté à la microseringue en décapitant le mâle et en pressant son abdomen afin d’obtenir une éjaculation complète. La reine, quant à elle, est anesthésiée et maintenue dans un tube de verre d’où dépasse l’extrémité de son abdomen, dont l’orifice génital est gardé ouvert par des écarteurs. La seringue est alors introduite dans l’orifice pour injecter le sperme choisi [13]. Faut-il préciser ce que l’extrême minutie nécessaire induit comme ratés ?

Enfumage

L’enfumage est une technique plus ou moins bien maîtrisée qui consiste à affaiblir les abeilles à l’aide d’une fumée blanche et épaisse, issue de granulés du commerce, de copeaux de bois ou d’herbe sèche par exemple, pour inspecter et manipuler leur essaim, leur ruche, leur reine et prélever leurs produits.

L’enfumage est parfois associé à l’administration de nitrate d’ammonium que l’on brûle simultanément dans l’enfumoir. Cette fumée est envoyée dans la ruche où les abeilles, paralysées, tombent inertes pendant une dizaine de minutes.

Les manuels d’apiculture indiquent qu’il vaut mieux éviter le renouvellement trop fréquent de l’enfumage pour des raisons sanitaires. L’enfumage est aussi cruel envers les abeilles que lorsqu’il est utilisé pour la chasse ou pour la guerre. Une abeille enfumée est en état de stress, se gorge de miel et émet un bruissement. Pour l’apiculteur, celui-ci correspond à une diminution ou à une disparition de l’agressivité des abeilles, et donc à la possibilité de les maîtriser [14].

Lors des manipulations, il est recommandé d’écraser le moins d’abeilles possible, mais uniquement pour des raisons de sécurité :

« les ouvrières écrasées peuvent émettre des substances d’alarme, provoquant une réaction d’attaque de leurs congénères [15] ».

En effet, celles qui sont enfumées sont continuellement rejointes par des butineuses qui rentrent à la ruche. Même les apiculteurs les plus précautionneux écrasent ou blessent des abeilles lorsqu’ils visitent les ruches.

Propagation des maladies

Les insectes d’élevage sont moins résistants. Leur concentration dans des ruchers augmente les contaminations. Pour ne rien arranger, les outils des apiculteurs propagent facilement la plupart des maladies virales, bactériennes, fongiques et parasitaires des abeilles. C’est le cas de la loque américaine par exemple, qui attaque le couvain et dont l’une des méthodes d’éradication consiste à détruire les ruches et leurs habitantes par le feu [16].

Transhumance et pollinisation orientée

Le fief des apiculteurs professionnels français est le Midi méditerranéen. Or l’apiculture ne peut s’y concevoir sans déplacer les abeilles, en raison du relief et du climat. Les floraisons s’échelonnent selon l’altitude et l’éloignement de la mer. La transhumance est une pratique qui tend à se généraliser pour accroître la production de miel ou vendre un service de pollinisation orientée.

Cette course à la productivité épuise les colonies dont on remplace les reines de façon nettement plus fréquente. Le déplacement s’opère de nuit pour tenter de ménager les abeilles, mais les deux techniques employées ne les épargnent pas. La technique des ruches fermées empêche les abeilles de se perdre mais peut aussi leur être fatale :

« Malgré l’importante surface d’aération offerte par le dessus grillagé, des étouffements qu’aucun apiculteur ne peut se vanter d’éviter, frappent une fois ou l’autre les colonies populeuses. […]

La ruche en danger d’étouffement commence par chauffer, sa cire se ramollit, ses rayons s’effondrent, le miel englue les abeilles et suinte par les fissures, puis toute la population meurt asphyxiée [17]. »

M. Bouchardeau, cité par Pierre Jean-Prost, explique cela par « un phénomène psychique de claustrophobie, qui affole les abeilles dès qu’elles se savent enfermées [18] ». La technique de transport des ruches ouvertes n’est pas tellement meilleure :

« Pendant le voyage, des ouvrières se promènent sur les ruches ; peu se perdent, mais les cahots en écrasent [19]. »

Il existe des abeilles capables de flux migratoires lointains, en Inde notamment, mais les abeilles élevées en France n’aiment pas les déplacements, malgré les champs fleuris qui leur sont présentés. La concentration d’une centaine de ruches en un seul lieu a pour conséquences d’aggraver la propagation des maladies, de favoriser la dérive – les abeilles se trompent de ruche – et d’envahir une aire définie avec des millions d’abeilles qui concurrencent inévitablement les pollinisateurs locaux.

Le remembrement détruit les haies et bosquets. © Société végane

La pollinisation orientée consiste pour l’apiculteur à louer les services des abeilles contre une rémunération : de nombreuses cultures ont ainsi un meilleur rendement et des fruits plus gros, plus marchands. En plus de concurrencer les autres insectes, cette technique a un effet pervers considérable.

N’y voyant plus d’intérêt, les agriculteurs négligent les haies, les jachères, les bosquets et toutes sortes d’habitats naturels dont les pollinisateurs naturels, tels que les osmies ou abeilles solitaires, les mégachiles ou abeilles coupeuses de feuilles, les bourdons, ont besoin pour se développer [20]. Les agriculteurs préfèrent ainsi remembrer leurs parcelles.

L’apiculture ne peut pas se substituer au travail des autres pollinisateurs que les abeilles. Il y a en France plus de 4000 espèces de plantes à fleurs, dont 1/10 seulement est visité par les abeilles. La fritillaire par exemple, dont le nectar ne contient que 5 % de sucre, ne les attire pas. Le pollen d’un grand nombre d’espèces ne suscite pas non plus leur intérêt. De plus, en fonction des caractéristiques des essaims, certaines plantes peuvent ne pas être visitées du tout par les abeilles [21].

Le miel et le pollen

Les abeilles récoltent le nectar et le miellat [22] par butinage. Elles les transforment considérablement en y mélangeant de la salive et en les régurgitant à plusieurs reprises pour réduire leur teneur en eau. Les sucres sont encore concentrés grâce à une évaporation qui se fait sur plusieurs jours dans les alvéoles. Lorsque la concentration est suffisante pour une conservation sans fermentation, les rayons contenant le liquide reçoivent des opercules de cire. Les sucres se transforment pour aboutir au miel. Ces réserves de nourriture sont indispensables aux abeilles en toute saison et plus spécifiquement en hiver. Leur organisme requiert de grandes quantités d’énergie :

« Le formidable organisme de l’abeille, à la fois si simple et si perfectionné, fonctionne à grande vitesse. Si l’abeille était une vache, elle mangerait deux tonnes d’herbe par jour [23] ! »

Le pollen, récolté par des abeilles spécialisées, est lui aussi une nourriture indispensable à la colonie. Pour le transporter, ces abeilles l’agglutinent en pelotes avec de la salive, du nectar ou du miel extraits de leurs glandes ou de leur jabot. Le pollen est consommé par exemple par les larves à partir de leur 3e jour, par les jeunes abeilles pour prolonger leur durée de vie, par les nourrices afin d’élaborer la gelée royale. Ce pollen transformé est prélevé par les apiculteurs et vendu comme aliment miracle. Les abeilles doivent alors compenser la perte en allant chercher davantage de pollen.

L’exploitation intensive et le nourrissement par substitution d’un sirop à base de sucre au miel nuisent considérablement à l’espérance de vie des abeilles. Le miel et le pollen constituent en théorie la principale alimentation de l’ensemble de la colonie. En théorie seulement, puisque les apiculteurs les prélèvent en très grandes quantités, jusqu’aux rayons des corps de ruche, tout contre le nid à couvain [24], pour commercialiser et rentabiliser au maximum. Par conséquent, l’essentiel de l’alimentation d’une ruche pendant la plus grande partie de l’année consiste en un sirop à base de sucre industriel de canne, de maïs ou de blé, souvent OGM, bourré de pesticides et de compléments alimentaires. Le nourrissement n’est pas toujours suffisant :

« La visite de fin d’hiver peut révéler une colonie morte de faim. On y voit des cadavres répartis entre la planche de vol, le plancher de la ruche et les alvéoles où les ouvrières sont plongées, tête la première [25]. »

Le miel et le pollen sont des produits de première nécessité pour les abeilles, mais pas seulement :

« L’alimentation de la ruche apparaît comme un phénomène complexe. À chaque catégorie d’individus correspond un type de nourriture équilibrée couvrant exactement les besoins du moment. La larve a son régime, les reines et les mâles ont le leur. Les ouvrières jeunes ne mangent pas la même chose que les vieilles. Les aliments de la belle saison ne sont pas ceux de l’hiver. On ne connaît pas le principe qui détermine la caste et qui se trouve dans la nourriture larvaire royale. Il s’agit de différences de nourriture qui déterminent l’orientation des castes (reine versus ouvrière), mais elles ne sont pas encore connues à ce jour [26]. »

La recherche de rentabilité inhérente à toute forme d’exploitation compromet aussi la survie des colonies entières :

« Réduire le nombre des ruches peuplées. Chaque colonie consomme en hiver. Les abeilles sont donc, pendant la mauvaise saison, un mal nécessaire. Il faut n’en garder que le minimum compatible avec une bonne conduite du rucher. Exploitez le maximum de colonies en été, le minimum en hiver. Dans ce but, les ruches les moins productives seront supprimées […]. On les élimine par réunion ou par dispersion en profitant parfois de leur prochaine disparition pour en tirer, en septembre et en octobre, toute la gelée royale qu’elles sont capables de donner après enlèvement de leur reine [27]. »

Reines et productivité

La production intensive de miel stresse considérablement les reines. Les techniques employées consistent à accroître les populations d’abeilles au printemps, afin d’obtenir en été une grande population de butineuses que l’on soumet à la transhumance programmée. En fin de saison, les abeilles sont trop nombreuses pour être rentables. On en élimine une partie pour l’hiver. Ces méthodes forcent les reines à pondre à une cadence forte. Patrick Drajnudel, de l’association L’Étoile des abeilles, constate que les reines vivent de moins en moins longtemps, épuisées par la ponte intensive qu’on leur impose. Ce constat est également partagé par Gilles Fert, éleveur professionnel de reines, qui confirme que les reines vivent désormais rarement plus d’une saison à une saison et demie, alors qu’elles vivaient autrefois jusqu’à 3, 4, voire 5 ans [28]. Les apiculteurs peuvent aussi les tuer pour les remplacer par des reines produites selon des méthodes non moins cruelles. Les reines des colonies dites paresseuses sont tuées et remplacées elles aussi.

Quelle que soit la méthode apicole, il est clair que le renouvellement naturel des reines amoindrit la récolte de l’année dans laquelle il se produit. C’est une des multiples raisons pour lesquelles beaucoup d’apiculteurs tuent les reines et les remplacent d’année en année ou tous les deux ans par des reines plus rentables qui sont commercialisées. Un apiculteur peut à loisir tuer toutes les reines de ses ruches pour les remplacer par d’autres.

Aujourd’hui, le commerce des reines a tellement progressé que celles-ci sont considérées comme des produits de la ruche et peuvent être vendues entre 7 et 26 €. Les techniques d’élevage des reines sont nombreuses et parfois complexes. Les généticiens font des recherches très poussées. Retenons seulement que l’apiculteur n’est pas l’ami des abeilles comme on le lit si souvent. Au terme de processus variés, les reines peuvent se voir couper les ailes avant d’être envoyées dans de petites cages par la poste. Jean Fresnaye, chercheur de l’INRA (Institut national de la recherche agronomique), fait remarquer que des expériences américaines montrent que les reines inséminées artificiellement pondent moins et vivent moins longtemps que les autres [29].

La gelée royale

D’un goût plutôt déplaisant, elle est de plus en plus consommée par les humains pour des bénéfices thérapeutiques supposés :

« L’examen d’une analyse de gelée royale ne permet pas de lui reconnaître un pouvoir particulier sur notre santé [30]. »

En fait, c’est la nourriture des larves jusqu’à leur 2e jour et des reines tout au long de leur vie. La gelée royale provient de la sécrétion des glandes hypopharyngiennes et mandibulaires des ouvrières âgées de 5 à 14 jours qui disposent de pollen, d’eau et de miel. D’autres glandes sont peutêtre impliquées dans cette sécrétion.

Là encore, les méthodes de production sont cruelles. Il faut tuer la reine ou la séparer de sa ruche pour donner un signal d’alarme aux abeilles. Celles-ci vont nourrir les dernières pontes de gelée royale afin d’élever une reine. L’apiculteur vient alors curer les alvéoles en retirant les larves s’il est précautionneux. Lorsque le travail est effectué avec un microaspirateur, les larves peuvent être entraînées. Les apiculteurs les moins minutieux ne se poseraient pas de questions à ce sujet. Le prix de la gelée royale est tel qu’une petite quantité de plus, même à base d’insectes, offre un bénéfice réel. En outre, la production intensive de gelée royale épuise les ruches, voire les achève :

« Ainsi disparaissent avec profit les colonies qui ont été incapables de produire beaucoup de miel en été [31]. »

La cire, la propolis et les autres produits de la ruche

La cire d’abeille est destinée à la construction des rayons de la ruche. Elle sert également à former des opercules sur les cellules contenant le miel. La cire est très fréquemment utilisée par les industries cosmétique et pharmaceutique.

La propolis est produite par les abeilles à partir de la résine de bourgeons d’arbres pour réparer les trous de la ruche, la calorifuger – c’est-à-dire l’enduire d’une substance peu conductrice de chaleur – ou la renforcer. Les humains consomment la propolis pour ses propriétés antiseptiques et cicatrisantes.

Restent l’hydromel – boisson fermentée à base d’eau et de miel –, les larves, les essaims et le venin. Ce dernier est administré aux allergiques pour tenter de les désensibiliser et aux arthritiques ou aux rhumatisants qui espèrent en tirer quelque soulagement dans le cadre de l’apithérapie.

Apiculture alternative

Contrairement aux idées reçues, l’agriculture biologique n’est pas beaucoup moins nocive pour les abeilles que l’agriculture conventionnelle. Les pesticides bio sont toxiques pour les insectes en général et polluent eux aussi les cours d’eau, etc. Le miel bio ne donne pas davantage de garanties contre les mauvais traitements infligés aux abeilles. On leur vole leur miel et on utilise la technique du nourrissement :

« Le sucre [cristal bio] peut être utilisé en le diluant à parts égales dans de l’eau pour faire un sirop. Très pauvre, ce sirop n’est qu’un lointain cousin du miel et ne constitue pas du tout une nourriture complète pour les abeilles. […] Les marchands apicoles vendent du sirop issu de l’agro-industrie. […] Même s’il est bien plus riche que du simple sirop de saccharose, il reste un aliment plus pauvre que du miel. […] Si les ruches manquent de provisions et que l’on n’a pas de cadre de miel, il ne faut pas hésiter à utiliser ce sirop, et ce même en bio, car la vie des colonies est gravement en danger [32]. »

Les abeilles subissent l’enfumage

« Visiter une ruche, un moment de plaisir. […] Allumer son enfumoir : le rituel d’entrée dans le monde des abeilles [33]. »

De plus, le label cherche à protéger la santé du consommateur et non les abeilles. Les conditions requises ont beau limiter l’achat de cheptel à 10 % par année [34], le choix de reines de lignées pures assure le renouvellement de populations d’abeilles qui piquent moins [35].

Par ailleurs, quelques apiculteurs ont imaginé des méthodes de collecte et de surveillance des ruches sans enfumage ou presque [36]. Nous ne les en blâmons pas, mais il s’agit de moyens ingénieux et sournois pour s’approprier le produit du labeur d’animaux qui ne sont pas partageurs. En bref, les compartiments de ces ruches pourraient être visités sans perturber l’activité des abeilles, ce qui apporterait aux hommes une forme de déculpabilisation. Ces très rares apiculteurs alternatifs disposent par exemple des ruches qui rappellent les anfractuosités naturelles que les abeilles ont l’habitude d’investir et de coloniser. Quelle que soit l’efficacité de ces systèmes qui réduisent peut-être la souffrance des insectes, cela reste un artifice et non un échange consenti : il n’y a pas de contrat passé entre les hommes et les abeilles. Le miel, c’est le vol.

Les prétendus gentlemen cambrioleurs sont incapables de prospérer suffisamment pour concurrencer les élevages conventionnels. Enfin, une fois qu’ils sont installés, les essaims ne peuvent plus s’échapper en raison de dispositifs particuliers. L’idée selon laquelle ils pourraient choisir de déménager si les conditions ne leur convenaient pas n’est qu’une chimère. Quand bien même ils le pourraient, ils n’assimilent pas l’abri aménageable et entouré d’essences intéressantes, a priori idéal, aux risques qu’encourent les stocks et la colonie tout entière. C’est bien un leurre.

Les substituts du miel

De toute évidence, l’exploitation des abeilles n’est pas moins barbare que les autres formes d’exploitation animale. Heureusement pour les véganes et tous ceux qui respectent les abeilles, de nombreux produits peuvent remplacer avantageusement le miel.

Pour ceux qui aiment le miel en tartine ou dans une tasse de tisane, la confiture de fleurs de pissenlit sera un substitut idéal : sa texture, sa couleur dorée et même son goût rappellent ceux du miel. La fleur de pissenlit est cuite avec du citron, de l’orange et du sucre. De nombreux sites Internet proposent des recettes maison de confiture de fleurs de pissenlit, mais on en trouve également dans le commerce.

Autre substitut possible, le sirop d’agave, dont le principal atout, hormis son goût parfumé et sa texture proche de celle du miel, est son indice glycémique faible. Il est en effet composé essentiellement de fructose et contient peu de glucose. De plus, le sirop d’agave a un pouvoir sucrant supérieur à celui du sucre. Les abeilles fatiguées que vous rencontrerez apprécieront une lampée de sirop d’agave et repartiront requinquées !

On trouve de nombreux autres sirops naturels extraits de plantes, ne nécessitant donc pas l’exploitation des abeilles. On retiendra notamment les sirops de riz, de blé, d’érable ou de datte. Ce dernier est également appelé miel ou jus de datte.

Ces mêmes dattes peuvent être utilisées dans des recettes de gâteaux : on les fait tremper quelques heures dans de l’eau, puis on les mixe pour obtenir une purée à incorporer à la place du miel. Les figues séchées donneront aussi d’excellents résultats et apporteront un goût subtil aux desserts.

Abeilles : une disparition inéluctable ?

Les apiculteurs se présentent souvent comme des défenseurs des abeilles, des partenaires dont la mission est de protéger et d’assurer la survie de ces animaux de moins en moins nombreux. Ils se considèrent comme des victimes de ce déclin, alors que leurs pratiques intensives nuisent à la diversité des espèces, contrarient le comportement naturel de transhumance, fragilisent les cheptels, etc. Mais ils ne sont pas, loin de là, les seuls responsables. Les abeilles sauvages sont également victimes de ce phénomène dont les causes semblent multiples : usage immodéré de pesticides dans les champs, monocultures, virus, pollution électromagnétique, perturbations climatiques, etc. L’AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des aliments [37]) a recensé en 2009 pas moins de 40 causes possibles à la mortalité spectaculaire des abeilles [38]. Certaines études montrent que ce déclin n’est pas récent et aurait même commencé dès les années soixante dans certains pays d’Europe [39].

Bien au-delà des rares lignées apicoles, la disparition de l’ensemble des abeilles serait lourde de conséquences pour de nombreux écosystèmes car ce sont les plus grandes pollinisatrices de la planète. L’INRA estime que « plus de 20 000 espèces d’abeilles dans le monde contribuent à la reproduction sexuée, et donc à la survie et à l’évolution de plus de 80 % des espèces de plantes à fleurs [40] ».

Pour le bien-être de tous les pollinisateurs mais aussi pour celui de l’ensemble des espèces dont la survie dépend de leur inlassable activité, il est donc crucial de mettre en œuvre des méthodes plus respectueuses de l’environnement. Cela commence par l’abandon de toutes les pratiques d’agriculture intensive répandant sur les champs des millions de tonnes de fongicides, de pesticides, d’herbicides et d’insecticides, qui sont ensuite ingérés par les pollinisateurs [41].

Par ailleurs, le territoire français a été bouleversé au cours du xxe siècle. Les petites parcelles agricoles d’autrefois ont été démembrées pour faire place à de gigantesques exploitations aux rendements supérieurs. La traditionnelle jachère a quasiment disparu. Cependant, les jachères regorgent de fleurs et offrent d’abondantes sources de nectar et de pollen à tous les insectes butineurs.

Confrontées à de nombreuses agressions liées au bouleversement de leur environnement, les abeilles sont menacées de disparition. Leur exploitation cupide par les hommes ne fait qu’amplifier ce phénomène. Les apiculteurs, qui se prétendent amis des abeilles, tuent les ouvrières et leur reine, leur infligent des souffrances, propagent leurs maladies, compromettent leur avenir à long terme par eugénisme ainsi que celui des pollinisateurs locaux naturels. Ils desservent les écosystèmes par invasion de toutes les surfaces à butiner. Leurs services à façon réduisent l’intérêt des pollinisateurs sauvages aux yeux des agriculteurs, qui en détruisent donc l’habitat. Pourquoi ? Uniquement pour le plaisir des consommateurs.

L’humain n’a besoin d’aucun des produits de la ruche. Chacun d’entre eux peut être remplacé par un produit d’origine végétale, à la fois délicieux et sans souffrance. Afin de protéger les abeilles, il est vraisemblablement nécessaire de refuser leur exploitation. C’est en tout cas la seule attitude morale envers ces animaux.

Pierre-Antoine Turquois

Août 2011

NOTES :

1. Ces informations peuvent être consultées sur le site du ministère de l’Agriculture : agriculture.gouv.fr/la-productionfrancaise-de-miel.

2. Les larves d’abeilles mâles sont consommées en Roumanie ou au Japon. En France, l’industrie pharmaceutique se

réserve la vente des embryons d’abeilles.

3. Jean-Prost (P.), Le Conte (Y.), Apiculture. Connaître l’abeille. Conduire le rucher, 7e édition, Lavoisier, 2005 ; p. 21.

4. Le passage cité est disponible en anglais sur le site de la Vegan Society : vegansociety.com/resources/animals/beesand-honey.aspx.

« Honey, and other bee products such as beeswax, propolis and royal jelly, are animal products and therefore vegans do not consume or use them. In common with other animals kept to produce food products bees are farmed and manipulated, and the honey they produce for themselves is taken from them. Vegans do not eat products taken from any animal, including bees, because it is neither desirable nor necessary to exploit animals in order to obtain food for humans. »

5. Jean-Prost (P.), Le Conte (Y.), op. cit. ; p. 143.

6. Une étude (en anglais) sur ces comportements que l’on croyait réservés à des mammifères est disponible sur le site de l’université du Sussex : sussex.ac.uk/lasi/research/conflictresolution.

7. Jean-Prost (P.), Le Conte (Y.), op. cit. ; p. 21.

8. Ibidem, p. 18.

9. Ibidem, p. 89.

10. Ibidem, p. 88-89.

11. Ibidem, p. 86.

12. Ibidem, p. 150.

13. Ibidem, p. 562-565.

14. Jean-Prost (P.), Le Conte (Y.), op. cit. ; p. 18.

15. Ibidem.

16. Cramp (D.), A Practical Manual of Beekeeping. How to Keep Bees and Develop Your Full Potential as an Apiarist, Spring Hill, 2008.

17. Jean-Prost (P.), Le Conte (Y.), op. cit. ; p. 355 et 365-366.

18. Ibidem, p. 366.

19. Ibidem, p. 360.

20. Ibidem, p. 107.

21. Ibidem, p. 173.

22. Le miellat est constitué d’excréments de pucerons qui sucent la sève des plantes. Les abeilles récoltent cette substance collante et sucrée dans les forêts par exemple.

23. Alphonse (J.), Un petit rucher bio. Tous les conseils pour bien débuter, Éditions Rustica, 2011 ; p. 13.

24. Jean-Prost (P.), Le Conte (Y.), op. cit. ; p. 327-328.

25. Ibidem, p. 288.

26. Ibidem, p. 51.

27. Ibidem, p. 329.

28. Guillet (A.), Guillet (D.), Le Titanic apicole. 3. Abeilles : du bétail à miel dans les enclos des colonies humaines, 2010, film documentaire. Disponible gratuitement sur visionsdegaia.fr/page/titanic_tome3 ou en DVD payant sur kokopelli. asso.fr/boutic/bou_list.cgi?codefam=dvd.

29. Jean-Prost (P.), Le Conte (Y.), op. cit. ; p. 565.

30. Ibidem, p. 569. À l’heure actuelle, aucune étude fiable ne semble avoir prouvé la valeur thérapeutique de la gelée royale. La plupart des tests dont les chercheurs disposent ont été menés sur des animaux non humains (souris, rats…). Une chose est sûre : comme tous les produits de la ruche, la gelée royale est un allergène potentiel.

31. Ibidem, p. 572.

32. Alphonse (J.), op. cit. ; p. 94.

33. Ibidem, p. 51.

34. Ibidem, p. 114.

35. Ibidem, p. 45.

36. Plus d’informations par exemple sur apiculturebiodynamique.com/ruche/warre/index.html.

37. L’AFSSA a fusionné en 2010 avec une autre agence sanitaire pour former l’ANSES ou Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail : anses.fr.

38. Mortalités, effondrements et affaiblissements des colonies d’abeilles, sous la coordination de J. Chiron, A.-M. Hattenberger, AFSSA, 2008 (rapport actualisé en 2009). Disponible ici : afssa.fr/Documents/SANT-Ra-MortaliteAbeilles.pdf.

39. Potts (S. G.), Roberts (S. P. M.), Dean (R.), Marris (G.), Brown (M. A.), Jones (R.), Neumann (P.), Settele (J.), « Declines of Managed Honey Bees and Beekeepers in Europe », dans Journal of Apicultural Research, vol. 49, n° 1, janvier 2010, p. 15-22. Disponible ici : ibra.org.uk/articles/European-honey-bee-declines. Une présentation en français est disponible sur notre-planete.info/actualites/actu_2273_abeille_declin_Europe_centrale.php.

40. La citation se trouve sur le site de l’INRA : inra.fr/presse/biodiversite_des_pollinisateurs_et_agriculture.

41. Plus d’informations concernant la consommation et le commerce des pesticides sur 193.43.36.221/site/424/default.aspx#ancor ou grâce au rapport de l’EPA (United States Environmental Protection Agency) : Grube (A.), Donaldson (D.), Kiely (T.), Wu (L.), Pesticides Industry Sales and Usage. 2006 and 2007 Market Estimates, EPA, 2011. Disponible ici : epa.gov/opp00001/pestsales/07pestsales/market_estimates2007.pdf.